La critique de la traduction

Publié le par ActivAction Europe

Pour obtenir une traduction "intelligente", sensible, il convient d’oublier non les connaissances acquises à l’école ou à l’Université mais les ukases des correcteurs. L’un voulait qu’une version latine sentît le latin, et il fallait donc écrire « un glaive d’airain », un autre estimait que dans une version réussie on ne devait pas pouvoir deviner la langue d’origine et il conseillait « une épée de bronze » ; on se rend compte par la suite que l’un et l’autre avaient à la fois raison et tort et que leur seul défaut était de présenter leur exigence comme une vérité absolue.

Marc Bloch a posé la question en écrivant dans Apologie pour l’Histoire :

« Il serait fâcheux, avouons-le, de voir les historiens encombrant leurs propos de vocables étrangers, imiter ces auteurs de romans rustiques qui, à force de patoiser, glissent à un jargon où les champs ne se reconnaîtraient pas mieux que la ville. En renonçant à tout essai d'équivalence, c'est souvent à la réalité même que l'on ferait tort. Un usage qui remonte, je crois, au dix-huitième siècle, veut que serf en français, ou des mots de sens voisin dans les autres langues occidentales, soient employés à désigner le chriépostnoï de l'ancienne Russie tsariste. Un rapprochement plus malencontreux pouvait difficilement être imaginé. Là-bas, un régime d'attache à la glèbe, peu à peu transformé en un véritable esclavage ; chez nous, une forme de dépendance personnelle qui, malgré sa rigueur, était très loin de traiter l'homme comme une chose dépourvue de tous droits : le prétendu servage russe n'avait à peu près rien de commun avec notre servage médiéval. Cependant, dire tout bonnement « chriépostnoï » ne nous avancerait guère. Car il a existé en Roumanie, en Hongrie, en Pologne et jusque dans l'Allemagne orientale, des types de sujétion paysanne étroitement apparentés à celui qui s'établit en Russie. Faudra-t-il, tout à tour, parler roumain, hongrois, polonais, allemand ou russe ? Une fois de plus, l'essentiel échapperait, qui est de restituer les liaisons profondes des faits, en les exprimant par une juste nomenclature.»

Cela montre toute la différence entre la traduction scolaire et la traduction adulte. Les professeurs s’entendent au moins sur ce principe : « Si une phrase est ambiguë, la traduction doit l’être aussi » ; sans doute veulent-ils que l’élève profite de l’occasion pour montrer sa virtuosité, mais quel traducteur, voyant devant lui les mots « his secretary » ne cherchera pas à savoir, même en dehors du texte qu’on lui soumet, s’il s’agit de « son secrétaire » ou de « sa secrétaire » ? Traduire revient souvent à choisir.

Nous en arrivons alors à une deuxième critique, moins facile à argumenter, qui s'appuie sur la phrase italienne à la formulation particulièrement vigoureuse :

Traduttore...Traditore !

Cette critique soutient que toute traduction revient trop à trahir l'auteur, son texte, l'esprit de celui-ci, son style... à cause des choix à faire de toute part. Que sacrifier, la brièveté ou la clarté, si dans le texte la formule est brève et efficace, mais impossible à traduire en si peu de mots avec ce sens précis ? Dans cette deuxième critique on pourrait y comprendre que cela nous encourage à lire dans le texte. Mais si tel est le conseil sous-entendu, il paraît évident qu'il est impossible à suivre dans les faits.

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